Sur le thème «seul(e)», par Divan Viril
seul, comme le premier poisson
sorti de l’eau
pour essayer ses jambes
seul, comme le jeune fan d’Harry Potter
arrivant déguisé au cinéma
après son traitement de chimio
le lendemain de la dernière projection
seule, comme cette aventurière du Kansas,
traversant l’Atlantique
au‐dessus des bateaux
dans l’entre‐deux‐guerres
seule, depuis que son père voit à travers elle
depuis qu’il refuse de dire son nom
depuis
qu’il met son chapeau au frigo
seul, comme le roi glissant
sur l’échiquier dénudé
tentant d’éviter avec désespoir
le mat en 4 coups
seule, comme la schtroumpfette
devant fournir pour tous les habitants du village
sauf peut‐être le coquet et le costaud
seul, comme ce cardiologue meurtrier de Lachute
après son grand nettoyage intérieur
seul, comme un ex‐Beach Boy au fond de son lit
seul, mais anxieux
comme l’adolescent découvrant un site web de furries
son coeur battant fort
pas autant à cause de son ondulation masturbatoire
que dans la crainte d’entendre le son
de sa mère qui lui descend son lavage
seul, comme le médecin
découvrant la contagion
au 16e siècle
et devant tourner la syphilis en poème
pour se faire entendre,
mais non croire
seule, comme la mère pleurant
sur son ventre maintenant vide
de l’enfant perdu
encore,
seul, comme le maniaque pédophile
revenant du bois
alors qu’il a quand même un peu peur
du noir
seul, comme cet enfant unique
étudiant à l’étranger
ayant perdu ses parents
en leur annonçant sa bisexualité
seul, comme le magicien d’Oz
prisonnier
donnant toujours le même show
sans jamais de rappel
seul, comme le dernier dodo
appelant sa compagne
dévorée par un chien
seule, comme le nombre positif de fois
qu’il lui a dit qu’il aimait ses petits seins
avant de disparaître à la vue du test de grossesse,
positif lui aussi
seul, comme Michael Collins
dans son module de commande
pendant que les deux autres ploucs
jouent à la tag lunaire
seule, dans cette cabine
à se regarder
dans le miroir déformant
sous le spendex criard
masquant tout ce que les autres voudraient voir
(révélant tout ce qu’elle voudrait pourtant cacher)
ce ventre, ces cuisses,
ce vide, cette honte.
Elle retient son souffle,
avant d’affronter les faux compliments
de la vendeuse,
l’apathie avec un « name tag » :
sa seule alliée
seul, comme le sauteur
tête première
voyant arriver plus bas la foule
rendue floue par la vitesse
pendant qu’il perd un ski
seul, comme le ténia,
au plus profond de l’adolescent dodu
s’extasiant de ses progrès sur la balance,
seul, comme le pogo le plus dégelé de la boîte
seul, comme le matador
lorsqu’il a la mauvaise idée de banderiller lui‐même
avec une poussière dans l’oeil
le bovidé écumant
fonçant vers lui
dans une charge pesante
seul, comme le domino dans la main de l’enfant
lorsque son éternuement fait tomber
tous les autres
posés debout
en cinq heures
solitude du coucou
pondant dans le nid
laissé là par quelque
future nourrice
seul, comme le parachutiste posé sain et sauf au milieu du champ de mines
seul, comme Ted Kaczynski
au fond de sa cabane
préparant son retour à l’université
seule, comme la rose d’un monarque critique d’art
courant l’univers
à la recherche d’un renard
et de dessins de mouton
seul, comme une balle soviet dans un jeu de roulette
jamais aussi seul
que dans la seconde suivant un :
« c’est pas toi… c’est moi ! »
seul comme le doigt relevé du motard
désignant le ciel
à l’agent courroucé
lui demandant ses papiers
seul, comme le fossoyeur
passant sa journée devant une bière,
mais jamais attablé
seul, comme le CD d’Annie Brocoli,
derrière le divan du salon,
par la mère épuisée,
intentionnellement caché
seul, comme le lecteur veuf
au coin du feu de décembre
quelques secondes avant d’entendre le corbeau
laissé seul comme le premier homme à avoir regardé une huître avec délectation
seul, comme le jeune Nicolas de Sainte‐Émélie‐de‐l’Énergie,
champion de cache‐cache parmi ses cousins,
qui suit les pylônes depuis deux semaines
pour rentrer chez lui
#foreveralone Divan Viril, 30 prairial 225